vendredi, février 01, 2008

Tétouan, à l’assaut du ciel et des montagnes

Toumader Khatib

Si Tétouan a sombré durant plusieurs décennies dans une longue léthargie, aujourd’hui des vents propices semblent souffler à nouveau augurant un lendemain meilleur.

Les visites réitérées de S.M. le Roi, la volonté politique de développer cette région longtemps négligée et marginalisée, les nombreux chantiers en oeuvre, le lancement de projets socio-économiques, le potentiel humain, les atouts dont dispose la région et la ville de Tétouan, l’implication de plus en plus marquée de la société civile sont autant de facteurs positifs dans ce processus de développement.Cependant, cette lueur d’espoir semble ternie par de sérieux fléaux rongeant et ravageant petit à petit cette ville . Si la corruption, le blanchiment de l’argent et le trafic de drogue font depuis de longues années la une des journaux nationaux, les journaux étrangers notamment anglophones consacrent des pages entières à l’émigration clandestine, à la contrebande et aux terroristes issus du quartier Jamaa Mezouaq, cherchant à analyser leurs conditions de vie, leur profil, leur parcours et pourquoi et comment ont ils fait du terrorisme leur raison de vivre, de tuer et de se donner la mort. Sur Internet, Tétouan est de plus en plus associée aux dealers de drogue et aux faux guides. Les touristes, les voyageurs de passage et bien sur les habitants sont soit harcelés soit se font voler en pleine Place Mouley Mehdi, leurs portables revendus à quelques mètres plus loin sur l’Avenue Mohammed V au vu et au su de tous. Des hordes de mendiants venus d’autres régions du Maroc appauvries par la sécheresse et la désertification progressive, certains appartenant à des réseaux organisés de mendicité traînent des nourrissons, des enfants handicapés ou en bas âge au visage blême dans un pays signataire de la Convention internationale des droits de l’Enfant d’autres sont carrément déversés en été lors d’un quelconque congrès ou festival ailleurs. Les sans-abri mais surtout les malades mentaux et les drogués nus au à moitié nus offrent des scènes obscènes portant atteinte à la dignité et à l’intégrité des passants en les insultant, en les menaçant et en les agressant. Les enfants, certains de cinq à six ans, sont livrés à leur sort même la nuit mettant insouciamment, pour quelques pièces de monnaie, leurs vies en péril courant d’une voiture à l’autre aux feux rouges.Il suffit qu’un seul fait soit relaté sur Internet pour acquérir aussitôt une ampleur démesurée dont les conséquences sont néfastes non seulement sur l’image de la ville et auprès des éventuels visiteurs, mais surtout auprès des investisseurs potentiels pour qui la sécurité des personnes de des biens est la condition sine qua non de tout investissement. Si la société civile tente de plus en plus d’apporter des mesures palliatives à la situation des malades mentaux, des personnes âgées, des enfants abandonnés ou en situation précaire et des détenus, il n’en demeure pas moins que les capacités d’accueil sont largement dépassées, les budgets alloués sont dérisoires et la nouvelle prison tarde depuis bientôt une décennie à ouvrir ses portes. La pauvreté, le chômage et l’exode rural massif ne sont pas les seules causes de cette lamentable situation. La drogue, sous toutes ses formes, impure et donc beaucoup moins chère et plus nocive, est la cause des démences, des vols, des cambriolages, des meurtres, des attaques à l’arme blanche, certains offrant aux passants d’épouvantables scènes de flagellation et d’auto-mutilation au couteau. Il n’y a pas un seul jour de la semaine où les cambriolages, les viols et les attaques à l’arme blanche ne sont mentionnés dans la presse locale et de plus en plus dans la presse nationale. Les cas de troubles respiratoires, d’allergies et d’asthmes sont de plus en plus répandus à cause de la pollution atmosphérique. Aux déchets de l’ex- Régie des Tabacs, aux déchets toxiques du quartier de Coelma, s’ajoute la pollution du centre ville saturé par les files interminables de grands taxis désuets notamment sur les rues Zerktouni et Maarakat Anoual. Si le nombre de médecins et d’enseignants sont des indicateurs de développement, Tétouan détient le pourcentage le plus élevé de taxis par habitant et le triste record de cas de cancers pour diverses raisons. Dans une ville connue pour ses vergers verdoyants et son cadre idyllique, la foret disparaît à vue d’oeil à Jbel Dersa, Kourra Sbaa et Bouanane. Les zones vertes, figurant sur les plans à l’interieur du périmètre urbain, finissent par se volatiliser et les arbres déracinés lors des travaux d’aménagement de la Place Moulay Mehdi n’ont sont jamais été remplacés.La détérioration progressive du cadre naturel s’accompagne d’une détérioration galopante du cadre urbain. Les constructions clandestines se succèdent aux constructions anarchiques et aux constructions même illégales que ce soit au pied même d’une muraille séculaire, dans des zones marécageuses sur les berges et l’embouchure de l’oued ou sur des gouffres et grottes naturelles. La spéculation foncière et immobilière, les constructions anarchiques ou illégales n’épargnent aucun quartier ; l’enjeu est de taille. C’est la fièvre bâtisseuse au mauvais sens du terme. Les habitants assistent à la dénaturation de la ville, qui perd son âme, tout en perdant leurs repères. Aucun quartier n’a pu sauvegarder son cachet. La médina qui bénéficie d’une valeur et d’une reconnaissance universelles est sujette à de nombreuses dénaturations ; les belles portes cloutées en bois sont remplacées par des portes en fer et les murs blanchis à la chaux virent de plus en plus au noir. Dans le centre ville à l’architecture hispano mauresque, à coté des édifices à deux ou trois étages, portant la griffe d’architectes ou maîtres d’oeuvre réputés apparaissent de nouvelles constructions imposantes à cinq étages brisant toute harmonie sur la rue al Ouahda, sur la la rue Allal ben Abdellah et sur la rue Moulay Abdeslam à quelques pas de la place al-Adala. Des derniers étages en retrait, des rajouts de deux à trois étages se succèdent un peu partout. La liste est longue. Même l’édifice aux deux coupoles qui domine la Place Mouley Mehdi datant des années vingt du siècle dernier, reproduit sur les premières cartes postales de Tétouan en 1928 et figurant dans tous les reportages et les livres parus sur Tétouan est victime d’un rajout.Un précédent vient de voir le jour sur l’Avenue de l’Armée Royale, une imposante construction de huit étages s’élève défiante sur une partie interdite depuis toujours à la construction. Sur l’avenue Mohamed Daoud, des villas de trois et quatre étages côtoient de coquettes villas les privant de toute intimité, mettant fin à l’élégance d’une avenue, plantée de bigaradiers, ternie depuis longtemps par la présence d’un triangle sordide, à quelques mètres de l’Avenue Abdelkhalaq Torrès récemment réaménagée, une construction illégale interrompue mais jamais démolie, qui a vu défiler toute une génération.Au quartier Al Matar, censé décongestionner le centre grâce au transfert de la Wilaya, de la Banque du Maroc, d’Amendis, etc…, les immeubles ont une vue oblique sur les villas dans un quartier chic à caractère résidentiel.Au quartier M’hanech, rue Khenifra par exemple, on passe dernièrement de deux à quatre étages. Ces parcelles de quelques mètres carrés disposaient de petits jardins à l’entrée, qui ont fini par disparaître progressivement. Cette fièvre bâtisseuse s’empare de tous les quartiers, celui de Touta n’échappe pas à la règle.A Torreta, des blocs de quatre étages apparaissent imposants et défiants en bordure de route, occupant toute la parcelle dans un lieu privilégié et choyé par la nature avec une vue imprenable sur Jbel Dersa, sur toute la ville et sa vallée et sur la mer. Les normes d’alignement ou de nivellement sont chose inconnue. Encore une fois, aucune harmonie, aucun respect de l’environnement, certaines constructions et petites villas se faisant même sans autorisation. Au quartier Koura Sbaá, à la forte densité de R+3 et R+4 poussent comme des champignons dans un terrain de surcroît accidenté ayant connu lors de pluies diluviennes précédentes de nombreux glissements de terrains causant des fissures et des délabrements. Nous assistons malheureusement au phénomène répétitif de Jbel Dersa qui a posé de sérieux problèmes sécuritaires lors des émeutes de 1984.De nombreux voyageurs, poètes et peintres ont été fascinés par le vert intense des monts Dersa et Ghorghez revêtus de pins veillant sur Tétouan, la Colombe Blanche, et la vallée de l’Oued Martil. Aujourd’hui, malheureusement, le béton est roi. Nombreuses sont à travers le monde les villes qui ont su préserver la beauté de leur cadre naturel, qui ont fait de leurs monts et collines des quartiers résidentiels où les maisons sont enfouies dans la nature et en font partie intégrante. Ici malheureusement, les quartiers périphériques insalubres aux noms très significatifs comme quartier Somalie, quartier un quart d’heure poussent entourant, surplombant et asphyxiant la ville de toutes parts.Jusqu’à quand ce laxisme, ces constructions clandestines et anarchiques, cette permissivité, ce favoritisme, cet irrespect des lois en vigueur et en même temps ce vide juridique permettant toutes les aberrations possibles et inimaginables ? Jusqu' à quand continuera- t- on de délivrer cinq autorisations de salles de fêtes dans un dans rayon de quelques centaines de mètres ? Jusqu'à quand seront accordées des autorisations aux cliniques sur les plus grandes artères de la ville ? Les malades n’aurait –ils pas droit au sommeil et au repos ?.Si les minarets s’élançant vers le soleil, continuent de faire le charme d’une médina pieuse, vivante et authentique, les immeubles à huit étages prennent l’assaut du ciel même dans les rues secondaires.Cette détérioration du cadre urbain se fait à deux niveaux, à un niveau vertical par la construction de blocs difformes et à un niveau horizontal. En effet, les trottoirs sont jonchés de camelote, d’objets de contrebande, de cassettes piratées, de carcasses de portables, de portables volés, etc...Tétouan s’est converti non pas en souk hebdomadaire commune c’est le cas de nombreux villages avoisinants, mais en souk permanent. Bab el Okla, l’une des portes les importantes et les plus utilisées de la médina, à quelques pas du Musée Ethnographique en est la vive et amère illustration. Détérioration, dégradation, enlaidissement, avilissement, et humiliation de toute une ville qui était à l’indépendance la deuxième ville économique du Maroc. Connue autrefois pour son artisanat, son commerce méditerranéen et ses exportations, Tétouan offre aujourd’hui l’aspect sordide de drogués, de mendiants, de vendeurs d’escargots venus de tous les coins du Maroc, de charrettes chargées de ferraille traversant d’un côté à l’autre la voie de contournement censée rendre le trafic plus fluide. Les objets de toutes sortes jonchent une avenue qui porte le nom du libérateur du pays qui visita cette ville en 1957 et y prononça un discours en faveur de l’unité du pays. Sur cette même place du Mechouar, où a lieu la cérémonie d’allégeance, à quelques mètres du Palais royal des peintres avec leurs brosses et matériels attendent d’éventuels clients. Invraisemblable et ahurissant. Quel triste sort veut–on réserver, consciemment ou inconsciemment, à une ville aussi importante dans l’histoire du Maroc. Aujourd’hui, Tétouan sous un ciel radieux, semble décidée à faire face non seulement aux vents secs et humides qui la balaient mais à tous les fléaux bafouant sa mémoire et menaçant sa spécificité, son statut de ville singulière et emblématique, de ville pionnière, de ville spirituelle, commerciale, culturelle et artistique. Ville portuaire, capitale diplomatique, capitale du Nord du Maroc sous le Protectorat espagnol, lieu chargé d’histoire, Cité des arts, ville universitaire, ville de cinéma et de théâtres, ville de musées dont les prochains à être inaugurés sont le Musée d’Art moderne et le Musée spirituel, ville de festivals (luth, cinéma, bande dessinée), Tétouan a toujours été une ville en avance sur son temps avec des personnalités d’exception (des jurisconsultes, des nationalistes, des diplomates…) et de grandes figures historiques qui ont marqué l’histoire du Maroc au fil des siècles.Si le passé est à chaque coin de rue, c’est le présent et surtout le futur qui nous préoccupe. La culture peut être une source de revenus considérable, le moteur d’un véritable développement économique. Le futur doit s’inscrire dans une stratégie de développement économique où les habitants doivent être pris en considération et être les premiers bénéficiaires de toute stratégie de développement aussi bien humain qu’économique la priorité doit être accordée à la région, à ses besoins et aux intérêts de ses habitants en premier lieu et non à ceux des autres régions ou groupes de pression. La ville doit occuper la place qu’elle mérite en tant que capitale méditerranéenne, en tant que destination touristique réunissant dans une même lieu une médina séculaire classée sur la liste du patrimoine mondial culturel de l’Humanité et ce depuis dix ans, des montagnes et des plages d’une beauté époustouflante. Où se trouvent réunies dans un espace aussi réduit des possibilités de tourisme culturel, rural et balnéaire si ce n’est à Tétouan ? Le tourisme doit être respectueux des valeurs socioculturelles de la ville et de l’environnement. Toute stratégie de développement réel et durable doit concerner en premier lieu les habitants de la région, leur offrir des opportunités de travail, leur assurer un meilleur respect de leur droits et interêt et surtout de leur dignité à quelques pas d’une Europe outrageusement riche et d’un pays doit le P.I.B est huitième sur le classement mondial.
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